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03 June 2006

Livre Erasme, paix.

 PLAIDOYER POUR

 

LA PAIX (1516)

 

« Je ne vois que ténèbres dans toutes les choses humaines »

 

Nulle part ne règne le véritable allié de la paix : « le souci du bien commun »

 

Le plus fort du texte est de montrer que l’homme NE VEUT PAS la paix, précurseur du Discours sur la servitude volontaire de La Boétie, en 1574 (s’il y a des tyrans ne serait-ce pas que la base ne souhaite pas medium_Plaidoyer_pour_la_paix.2.jpgvéritablement les éliminer ?), ce petit livre dénonce sans complaisance touts les méfaits de la guerre et en particulier la futilité des raisons que l’on invoque pour la réaliser. Dans le texte c’est la paix qui s’exprime à la première personne. Néanmoins il faut prendre garde à la date à laquelle ce livre a été écrit et pour qui (il etait destiné aux princes européens) car l’auteur s’attarde à vouloir rassembler les chrétiens, au risque de leur demander de se battre en commun contre les Turcs. Mais le texte garde toute son actualité si l’on se concentre à remplacer le terme de « chrétiens » par « être humains ». D’ailleurs Erasme n’est pas en reste sur ce point et son message est celui d’un humaniste avant l’heure car c’est bien la concorde entre les hommes qu’il recherche, au-delà de celle des chrétiens.

 


 

 

TEXTE :

 

Le message du Christ semble être celui de la paix « quiconque annonce le christ annonce la paix. Quiconque annonce la guerre annonce celui qui est aux antipodes du christ. »

 

« Les mortels peuvent bien masquer cette maladie qui est la leur de n’importe quel prétexte : s’ils n’aimaient pas la guerre, ils ne se déchireraient pas entre eux en des guerres continuelles. »

 

 « Tous les écrits des chrétiens, qu’on lise l’Ancien ou le Nouveau Testaments, ne crient qu’une chose : paix et union des cœurs, et la vie entière de tous les chrétiens n’est consacrée qu’à la guerre ! »

 

« O cœurs plus durs que le diamant ! Vous avez tant de choses en commun, et des vies si inexplicablement désunies ! Les mêmes lois président à votre naissance. Tous, vous êtes devant la nécessité de vieillir et de mourir. Tous ces hommes tirent leur origine de la même source, leur religion a le même fondateur, ils ont été rachetés par le même sang, ils sont initiés aux mêmes mystères, ils se nourrissent des mêmes sacrements. Et les fruits de ces sacrements viennent de la même source, ils sont également répandus sur tous, Tous, ils ont la même Eglise. Enfin tous attendent la même récompense. Bien plus, cette fameuse Jérusalem céleste vers laquelle soupirent tous les vrais chrétiens tire son nom d’une vision de paix, dont l’Eglise, ici-bas, offre l’image. Alors comment se fait-il que cette Eglise diffère à ce point de son modèle ? Le Christ en personne a pu si peu, malgré tant de préceptes, tant de mystères, tant de symboles ? Selon le proverbe, le mal lui-même parvient à réunir les méchants, et les chrétiens, ni le bien ni le mal ne parvient à les unir ? Quoi de plus bref, de plus fragile que la vie humaine ? Que de maladies, que d’accidents la menacent ! Et pourtant, en dépit des maux intolérables qui lui sont consubstantiellement attachés, la plus grande partie de ses malheurs, ce sont les hommes eux-mêmes qui, dans leur folie, l’attirent sur eux. Un tel aveuglement obscurcit l’âme des hommes qu’ils ne voient rien venir et travaillent, tête baissée, à rompre, déchirer, briser tous liens, tous les pactes tissés par la nature et le Christ. Ils se combattent sans trêves et de tous côtés, sans mesures ni fin. Les peuples se déchirent entres eux, les cités entre elles, les partis entre eux, les princes entre eux, et, par la faute de la sottise ou de l’ambition de deux malheureux hommes qui bientôt seront morts comme toute chose éphémère, la vie des hommes est totalement bouleversée. »

 

« Passons sur les tragédies des guerres anciennes. Rappelons simplement celles qui ont été menées ces dix dernières années. De 1506 à 1617, en effet, et dans la seule Europe, d’innombrables conflits se déchaînent : Jules II attaque Bologne et Pérouse en 1506 ; la coalition de Cambrai se noue contre Venise en 1509 ; Jules II, encore, attaque l’Emilie en 1510 et promulgue la Lega Santa contre la France. Les Espagnols combattent les Médicis à Florence et conquièrent Pampelune en Navarre. En 1513, Louis XII envahit la Lombardie ; ses alliés vénitiens subissent une défaite à Vicence ; une invasion anglaise à lieu dans le nord de la France. En 1515, François Ier envahit l’Italie : victorieux à Marignan, les Français entrent dans Milan. En 1516, Maximilien Ier entre en campagne contre les Vénitiens et les Français ; Léon X conquiert le duché d’Urbino ; la Sicile et la Navarre sont en lutte contre l’Espagne… »

 

« Et que dire quand on songe que les auteurs de tels agissements vont plus loin en férocité que les bêtes féroces elles-mêmes ? Toutes les bêtes sauvages ne se battent pas. Il n’y a de lutte qu’entre espèces différentes, fait déjà évoqué, et à répéter encore et encore pour mieux imprimer cette vérité dans les esprits. La vipère ne mord pas la vipère, le lynx ne déchire pas le lynx. Et, lorsque ces bêtes se battent, c’est avec les armes propres de leur espèce. Mais les hommes, nés sans armes, de quelles armes, Dieu immortel, les munit la colère ! C’est au moyen de machines infernales que des chrétiens assaillent des chrétiens. Est-il croyable que ce soient des hommes qui aient inventé les canons ? Les bêtes, elles, ne se ruent pas au massacre réciproque en troupes aussi denses ! A-t-on jamais vu dix lions s’attaquer à dix taureaux ? Que de fois, au contraire, voit-on vingt mille hommes porter le fer contre autant d’hommes ! On aime tant à se blesser, à vider un frère de son sang ! Les bêtes, elles, ne combattent que si la faim ou le souci de leur progéniture les met en rage ; or quelle injure est assez légère aux yeux des chrétiens pour ne pas apparaître comme un bon prétexte de guerre ? »

 

« Comment, je vous le demande, dans les célébrations faites à l’armée, un soldat peut-il dire le Notre Père ? Bouche insensible, tu oses l’appeler « Père », toi qui veux transpercer la gorge de ton frère ? Que ton nom soit sanctifié : peut-on davantage souiller le nom de Dieu qu’avec de telles violences ? Que ton règne vienne : c’est là ta prière, toi qui édifies ton pouvoir tyrannique sur un flot de sang ? Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel : Lui veut la paix, et toi tu fais la guerre ! Tu demandes au Père de tous les hommes ton pain quotidien, toi qui brûles les moissons de tes frères et qui aimes mieux mourir que de lui être utile ? De quel front diras-tu encore : et remets-nous notre dette, comme nous la remettons à nos débiteurs, toi qui te hâtes vers le fratricide ? Tu pries Dieu d’écarter de toi le danger de la tentation, toi qui te mets en danger pour mieux mettre en danger ton frère ? Tu demandes à être libéré du mal, quand l’instinct du mal te pousse à faire le plus grand mal à ton frère ? »

 

Que ceux qui trouvent ici une bonne occasion de dénoncer l’hypocrisie de la religion s’amusent à remplacer les prières d’antan par celles d’aujourd’hui. Quels maux et motifs insidieux ne se cachent pas souvent derrière de belles intentions comme « la démocratie », « les programmes de développement », « la promotion des droits de l’homme », « la non-prolifération nucléaire », « la défense du pouvoir d’achat », « le patriotisme économique », « la lutte pour la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes », « la lutte pour un monde plus juste et moins inégalitaire », etc. Je laisse Erasme répondre :

 

« Mais j’entends depuis quelque temps les excuses données pas des hommes dont les ressources pour se faire du mal sont infinies. Ils se plaignent d’être contraints à la guerre, d’y être entraînés malgré eux. Oublie le rôle que tu joues, élimine le fard, et regarde au fond de ton cœur ; tu trouveras que ce sont la colère, l’ambition, la sottise qui t’y ont entraîné, et non la nécessité, à moins que tu n’appelles nécessité le besoin de voir tous tes désirs satisfaits. »

 

« Si nous voulons amener les Turcs à se convertir au christianisme, soyons d’abord nous-même des chrétiens ! Jamais ils n’accepteront une religion qui se présente ainsi ; jamais ils ne croiront, s’ils voient que nulle part plus que chez les chrétiens ne s’exerce la fureur de ce que le Christ a exécré par-dessus tout »

 

De même ici, il faut remplacer « christianisme » par « démocratie », « droits de l’homme » ou encore « économie de marché ». Si tels sont les bons remèdes, les autres hommes devraient finir par nous suivrent. Si ce n’est pas le cas, c’est que ce ne sont pas les bons remèdes ou, tout simplement, qu’ils ne sont pas correctement appliqués…

 

Un livre à méditer et, malheureusement, toujours d’actualité.

 

 

Michel

 

Source photo: http://www.arlea.fr 

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